NESSERIA – Cette érosion de nous-mêmes

Sorti le 6 octobre 2017, l’album de Nesseria intitulé “Cette érosion de nous-mêmes” fait véritablement office de psychopompe et plonge l’auditeur dans un voyage intérieur presque initiatique et révélateur. Les morceaux aux sonorités blackgaze se déroulent comme des chapitres, résumant nos instants les plus intimes et l’enfer du quotidien.

Pour ceux qui ne veulent pas se taper trois pages de lecture, je vous invite à aller écouter l’album de la façon suivante :

  1. Première écoute les yeux fermés, dans un cadre posé de préférence. Ne faites rien, écoutez.

  2. Seconde écoute avec le texte. (vous pouvez faire quelque chose en même temps, mais je vous préviens : suivre le texte sera plus compliqué)

Le titre qui ouvre la voie est “On prendra l’habitude”. Un début musical violent et pour cause, c’est le thème abordé. Désiré y traite des médias qui noient nos cervelles d’images de morts et de peur devant lesquelles nous restons immobiles. Dans ce morceau, tout nous agresse : les images qui défilent, la violence qu’elles montrent, la musique brutale,… Une véritable mise en abîme. Un interlude composé essentiellement de roulement de batterie repose l’auditeur pour mieux l’amener à méditer sur le paradoxe qu’est son désir de justice mais son inaction ; et malgré la somptueuse remontée musicale, la voix abdique et le roulement de tambour redevient maître, comme ce quotidien qui nous aspire et qui fait de l’individu, une insignifiance.

Dans un ton plus doux et pareil à une madeleine de Proust, Nesseria nous invite à “La chasse aux écureuils”. De l’image champêtre et forestière qui vous vient à l’esprit, gardez les bois mais oubliez les petits animaux. Ici, la musique est lancinante et hypnotique. Elle reflète l’errance de notre vie d’adulte qui mêle avancée à l’aveuglette et gestes machinaux. Les écureuils symbolisent ces rêves d’enfant que l’on saisissait à bras ouvert dans ce temps de notre vie où l’insouciance faisait loi. Malgré une fatalité sous-jacente de ne jamais pouvoir retrouver l’enfance et son innocence, le fond musical s’apaise pour laisser place à des mélodies qui inspirent un certain espoir. Cet espoir c’est celui de l’adulte qui se souvient et qui peut-être un jour, repartira à la chasse aux écureuils. Si les notes du précédent titre s’atténuent, gardez en tête la forêt, ça pourra servir pour le suivant.

“Les ruines” forme la troisième composition de l’album avec un rythme plus rapide et une atmosphère moins lourde. Cette accélération entre en accord avec le sujet du texte qui aborde les excuses que l’on peut se trouver et la vitesse à laquelle nous les utilisons dans le quotidien. Les événements et les actes passent, on fait les mauvais choix, on les regrette, on les oublie, mais ils sont là dans notre passé, telles des ruines. La voix transmet clairement cette expression du déni. Nous avons tous envie de crier “C’est pas ma faute !”. Pourtant, le discours se fait interrompre par un interlude aux notes dissonantes et à l’atmosphère sombre qui semble refléter notre culpabilité et sa conscience. À la fin de ce passage obscur, le chant reprend et paraît crier « NON ! » comme s’il suppliait une dernière fois, montrant encore le déni et le mensonge dans lesquels nous préférons rester enfermés.

Et ceci amène à merveille le prochain morceau qui pour ma part est mon préféré. “À l’usure” est un morceau aux allures assez simples et épurées. Cette apparence vient de l’instrumental acoustique qui supporte la même voix criée de Désiré. Un chant avec une détresse et tristesse apparente qui prend cœur et tripes. On s’identifie très vite aux paroles et la mise en son acoustique permet une réelle introspection. On prend pleinement conscience de ces moments où l’habitude l’a emporté sur notre volonté, où l’on a préféré être avec autrui car l’on avait peur d’être seul. La musique et la voix nous entraînent encore plus loin dans notre être. Nesseria touche vraiment la corde sensible avec ce morceau.

Comment ne pas perdre le fil de l’histoire maintenant qu’elle parle de nos problèmes de cœur ? Avec “St Petersburg”, un morceau qui sonne comme une désillusion du voyage. Et oui, car même si l’on s’éloigne, nos pensées persistent et continuent de nous harceler sans cesse. Les habitudes du quotidien nous rattrapent, on retrouve rapidement le connu dans l’inconnu,… Déjà mis à nu dans le titre précédent, celui-ci continue en plongeant son auditeur dans l’écho de sa solitude cérébrale. Sans trop interpréter non plus, ce morceau semble très personnel et de fait offre une écriture poétique dont la lecture est synonyme de voyage, à l’égal du titre.

Pfiou, déjà 5 titres ! On expire, on inspire, et… c’est reparti !

“Forteresse”. Les écureuils ont fui et il est temps de chasser nos nostalgies et nos propres soucis pour revenir à la réalité et à sa violence. L’éloignement abordé à l’ouverture de l’album n’est plus. Les réfugiés des guerres viennent se mourir à nos portes. L’atmosphère musicale du morceau exprime avec justesse cette sensation d’urgence et de besoin que doivent ressentir ces âmes blessées par l’immigration et la mort. L’Éden que représente l’Europe est fermé, et ces gens ne peuvent plus compatir, trop habitués à voir ce spectacle dans leurs petits écrans. Le désespoir, les tourments et le malheur tournoient en musique et une pique est adressée à ceux qui ferment nos portes sous prétexte que la misère est déjà à l’intérieur mais qui ne faisant rien pour arranger cette dernière, font que la misère continue de croître sur tous les fronts. Ainsi, nos cœurs se ferment à l’autre.

Ce repli est en partie dû à une conséquence sociale subie par tous qu’est le jeu des masques. “Pris à la gorge”, le 7ème enfant de l’album, dévoile une entrée en matière brutale. On sent la rage, le tempo est lourd et puissant. Si l’on ressent l’énervement tourné vers les autres, les auditeurs sincères verront cette colère être le reflet de celle que l’on pointe vers soi, dégoûté de cette aliénation qui nous a façonné, de laquelle nous sommes victimes mais que l’on perpétue également. Le morceau est très efficace musicalement, très prenant. Vers le milieu, un instant mélodieux qui se prêterait parfaitement au cinéma calme le jeu, nous remet devant les masques que nous enfilons chaque jour face aux autres et à soi-même puis on repart sur la même violence qu’au début du morceau, ce qui nous replonge dans le quotidien, dans le défilement rapide de ces identités mensongères auxquelles nous donnons vie et dans lesquelles nous perdons notre véritable essence.

L’avant-dernier titre est symboliquement représentatif de la routine machinale, de l’aliénation et de l’altérité de l’identité individuelle. “Dans l’ombre et sans visage”, composition qui s’ouvre par un moment d’émergence, comme si l’on appuyait sur notre bouton ON. Puis le chaos. Le son s’amplifie et la batterie nous plonge dans la cruauté du monde du travail. Les mesures sont répétées ce qui donne un aspect redondant retransmet avec justesse la vie machinale qui nous régit. Un arrêt survient, puis le chaos reprend. La voix de Désiré rappelle l’histoire du CV et de l’importance de l’emploi comme si le texte était récité par un contremaître. Pourtant, ironie du sort et preuve de notre profonde aliénation, ce discours est celui que nous nous adressons et que nous ressortons à autrui. “Dans l’ombre et sans visage” traduit exactement ce que nous sommes : des fourmis conformées à un système écrasant.

Et maintenant, le dernier morceau, le dessert si je puis dire. Titre éponyme de l’album éponyme, le final n’est qu’instrumental. L’absence de paroles nous laisse le champ libre pour la réflexion. L’intro est douce et fait retomber la pression sonore qui a perduré tout du long. Au bout de quelques mesures, la guitare nous rappelle à l’ordre. Calmement, elle attrape notre cœur puis la batterie se réveille et attise les braises de l’émotion. Une espèce de voix semble nous parvenir. Est-ce un ange ou notre voix intérieure ? Le voyage musical entrepris une demi heure auparavant nous amène à présent dans le sanctuaire de notre esprit. Sanctuaire où l’on se trouve, où le masque tombe puis à peine retrouvé, la musique reprend de plus belle et nous transporte dans le sens inverse de l’album. Enfin avec nous-mêmes, on se redécouvre, on revoit nos ruines d’un nouvel œil, on aperçoit nos écureuils, nos rêves et l’on s’apaise, comme si nous avions enfin fait la paix avec nous-mêmes. Ce morceau fabuleux clôt l’album comme la chute d’une nouvelle. En véritable épiphanie existentielle, cet instrumental nous place certes devant l’érosion de nous-mêmes mais aussi devant son possible avenir; à présent que la poussière paraît balayée et que les crevasses sont mises à nu, ne reste plus qu’à rebâtir.

Hugo Wache

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